"Je rappelle aux maires qu'ils sont comme des chefs d'entreprise, mais au service de la population"
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Vendredi 23 Octobre 2009 L'actualité mahoraise
Interview du préfet Hubert Derache
Le préfet Hubert Derache arrivé en août 2009 à Mayotte nous a reçu pour aborder les différentes problématiques de Mayotte, une île qu'il connaissait déjà avant d'être nommé.
Malango : Vous avez été nommé une semaine après le départ de votre prédécesseur, Denis Robin, appelé comme directeur de cabinet de la ministre de l'Outre-mer. Vous a-t-il laissé des consignes ?
Hubert Derache : J'ai appris 3 semaines avant de venir à Mayotte ma nomination. J'ai rencontré Denis Robin le 4 août, qui m'a davantage laissé des consignes d'actualité que de fond, que je connaissais puisque j'avais participé à la mise en place de la décentralisation et des moyens de lutte contre l'immigration clandestine dans le cabinet Baroin. Denis Robin a plutôt souligné la nécessité de développer le logement social en déficit à Mayotte, et l'indispensable développement du tourisme. Le Plan d'Aménagement et de Développement Durable (PADD) étant désormais approuvé, il faut mettre en place des structures hôtelière sur les 9 sites élus. J'en profite pour préciser qu'il ne faut pas que les promoteurs immobiliers deviennent propriétaire sur la Zone des Pas Géométriques. Il faut mettre en place un système de bail emphytéotique et en concertation avec la population, pour éviter les erreurs du passé. D'autre part, il faut conserver un accès à la mer pour tous, employer les jeunes de la commune avec une formation hôtelière à la clef, et structurer la filière agricole locale pour qu'elle fournisse les fruits et légumes.
L.M : Mais les producteurs agricoles mahorais hésitent à employer la main d'œuvre déclarée, trop chère à leurs yeux avec les augmentations successives du SMIG
Hubert Derache : Quand Mayotte sera devenue un DOM, on pourra mettre en place des exonérations de charge sociales. Et il faut que les responsables d'entreprises ou d'exploitations arrêtent leur double langage « il faut expulser les clandestins, mais on les emploie malgré tout ». Le coût direct de l'immigration clandestine en prenant en compte les services de police, de gendarmerie, le centre de Rétention, les radars, le retour par avion ou bateau est de 30 millions d'euros par an. En ajoutant le coût indirect avec les soins, écoles etc., il est de 50 millions, soit un total de 80 M€.
L.M : Quelle a été votre première préoccupation en prenant vos fonctions ?
Hubert Derache : Prendre la mesure du développement du secteur éducatif, puisque nous sommes passés en 12 ans de 44 000 à 77 000 élèves. L'Etat a donc créé 550 postes là où en métropole, ils sont supprimés. Et bien sûr, faire le bilan des moyens de lutte contre l'immigration clandestine avec une amélioration de la couverture radar pour arriver à un chiffre avoisinant les 17 500 reconduites à la fin de l'année. Ces interceptions permettent d'accroitre le coût du passage qui était de 100 € il n'y a pas si longtemps, et qui est de 300 € actuellement, c'est-à-dire plusieurs mois de salaire pour un anjouanais. Notre but est que le prix devienne trop élevé, décourageant ainsi les candidats aux traversées.
L.M : La solution passe-t-elle par un développement des Comores qui se rapprocheraient ainsi du niveau de vie mahorais ? La France en a-t-elle les moyens ? La communauté internationale peut-elle l'aider ?
Hubert Derache : La France a un devoir moral envers les Comores dont elle défend d'ailleurs l'allégement de la dette auprès du FMI. Il faut accentuer notre aide en matière de formation professionnelle des jeunes comoriens, développer les échanges commerciaux trop timides avec Anjouan, et mettre l'accent sur le tourisme en proposant dans un séjour touristique de 10 jours à Mayotte, d'inclure 2 jours de découverte d'Anjouan. Un projet de liaison maritime Mayotte-Comores à grande vitesse est en cours pour passagers et frets.
L.M : Le référendum sur la départementalisation n'est que consultatif. Les parlementaires vont-ils faire de Mayotte un département classique, si contesté aux Antilles ? Et dans quels délais ?
Hubert Derache : Nous demeurerons une assemblée unique (exerçant les compétences du conseil général et du conseil régional, ndlr) et en ce sens Mayotte est en avance sur l'Outre-mer et sur la métropole. Le renouvellement en 2011 du Conseil général devra prendre en compte la réforme des collectivités locales. Sinon, il faudra accroitre le nombre de cantons car avec 17 conseillers généraux, Mayotte est sous la moyenne d'un département équivalent en métropole. D'autre part, il faudra introduire en 2014 une dose de proportionnelle.
Mais la départementalisation, c'est aussi l'introduction des minimas sociaux avec 25% du Revenu de Solidarité Active (RSA) dès 2012, l'accroissement des indemnités retraite publiques et privée car les 456 euros actuels ne sont pas acceptables. Au premier semestre 2010, une consultation paritaire entre les organisations syndicales salariés et patronales décidera de l'échéancier pour le rattrapage du SMIC métropolitain.
L.M : Le calendrier mettant en place la fiscalité de droit commun en 2014 va-t-il être respecté au regard des problèmes liés au foncier et à l'état civil à Mayotte ?
Hubert Derache : Au niveau de l'état civil, nous suivons les résultats de la Commissions de Révision de l'Etat Civil car le 31 juillet 2010, les personnes qui n'auront pas régularisé leur état civil devront se rendre au tribunal. Nous allons lancer une campagne d'information pour ne pas en arriver là.
Par ailleurs, la contribution économique territoriale, remplaçant la taxe professionnelle en métropole, servira de base pour la fiscalité locale. Nous espérons également qu'en 2014, Mayotte devienne une Région Ultra Périphérique (RUP), puisqu'après la signature du président tchèque, le Traité de Lisbonne pourra s'appliquer. Mais il faut pour cela rassurer Bruxelles où je vais me rendre dans le courant de l'année 2010, en prouvant que Mayotte a réglé ses questions d'état civil, de polygamie et de justice cadiale.
L.M : Que faire devant la gestion calamiteuse des mairies ?
Hubert Derache : J'ai beaucoup de mal à faire comprendre que décentralisation oblige, le préfet n'a plus toutes les manettes. Je rappelle aux maires qu'ils sont comme des chefs d'entreprise, mais au service de la population. Mais c'est aussi une question de génération qui abuse du suremploi. Au sujet de la gestion des ordures, la bonne nouvelle est que les maires se sont mis d'accord pour la création d'un syndicat unique de ramassage, car les 4 Sivom (Syndicat Intercommunal à Vocations Multiples) actuels avaient explosé leurs finances avec une masse salariale représentant 75% du budget de fonctionnement. Du côté des écoles qui n'ont pas reçu toutes leurs fournitures scolaires, je vais demander qu'à l'avenir les prestations soient directement versées aux parents d'élèves.
L.M : Les élus du Conseil général ont pris la décision de voter les préconisations de la Chambre Territoriale des Comptes. Cette décision sera-t-elle suivie d'effets ?
Hubert Derache : Les élus doivent, en gage de bonne volonté avoir économisé 3 millions d'euros au 31 décembre 2009. Si ce n'est pas le cas, j'exécuterai le budget et s'il faut assurer une tutelle, je le ferai. Mais il faut savoir que le prêt de l'Agence Française de Développement ne sera débloqué, en garantie des investissements du Conseil général dans le cadre du Contrat de projet, qu'en cas de réussite dans l'effort d'économie de 3 M€. Il faudra pour cela que la Collectivité ait réduit ses frais de fonctionnement. Car un de ses problèmes est sa masse salariale, puisque son ex-président Saïd Omar Oïli avait instauré 20 équivalents temps-plein par conseiller général, soit 380 personnes qui travaillent dans ce cadre au Conseil général.
En ce qui concerne l'année 2010, l'Etat suivra de près les économies réalisées, mais avec une bonne gestion accompagnée d'une révision à la baisse des ambitions du Conseil général, les élus devraient rétablir les finances.
L.M : Quid du marché et du second quai de Longoni ?
Hubert Derache : Pour le marché, ça va bouger puisque le dialogue a repris entre le Conseil général et la CCI, cette dernière ayant revu ses ambitions à la baisse. Du côté de Longoni, les discussions se poursuivent sur l'idée que la gestion ne sera pas forcément unique pour les deux quais, car pour l'instant, il faut trouver rapidement une solution.
L.M : Avez-vous un message à faire passer ?
Hubert Derache : Je suis confiant dans un développement harmonieux de Mayotte si nous travaillons tous en étroite collaboration. Bien que les esprits ne soient pas toujours préparés au changement, le pacte pour la départementalisation a provoqué un travail fort au niveau local lors des deux années précédentes. D'autre part, les Etats généraux de l'Outre-mer ont été une chance puisque des mesures positives pour Mayotte vont être annoncées.
Source: Malango Mayotte Propos recueillis par Annette Lafond
Portrait
Né le 5 août 1953 dans le Hauts Doubs, à côté de Morteau, « vous savez cette région où il fait -30° en hiver et +30° en été ».
1974-1976 : Intègre l'école militaire de St Cyr
1977 à 1990 : Officier dans les troupes de marine, chef de bataillon
1990 : Directeur de cabinet du préfet de l'Aveyron
1991 à 1997 : Sous-préfet et secrétaire général en Charente Maritime et Haute Marne
1997-2000 : Sous-préfet du Marin (Martinique)
2002-2005 : Conseiller technique de la Ministre de l'outre-mer Brigitte Girardin, en outre chargé de la zone de Mayotte
2005 : Conseiller technique du Ministre de l'outre-mer François Baroin, en outre chargé de la zone de Mayotte
Il est venu 12 fois à Mayotte pendant cette période.
2006 : Sous-préfet d'Aix-en-Provence
2009 : Nommé préfet de Mayotte
Hubert Derache est notamment Chevalier de l'ordre national de la Légion d'honneur et chevalier de l'ordre national du Mérite
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